PROGRAMME THÉORIQUE 2009

La question du sexe (il y a deux sexes, un sexe unique, autant de sexes qu’il y a d’individus), de la sexualité et du rôle symbolique et culturel de la sexuation au-delà des réponses théoriques qui divergent ou même qui s’affrontent est réactivée dans les créations littéraires et artistiques des hommes et des femmes. Plus intelligentes souvent que la pensée directement exprimée dans le discours ordinaire ou philosophique, les œuvres de création sont des fabriques idéologiques insoupçonnées. Si les lectures analytiques, les gloses savantes et les interprétations ont fait évoluer, depuis les années 1970 où l’analyse textuelle a été tellement en vogue, les opinions et les idées que nous nous étions formées sur bien des œuvres majeures de la littérature, la littérature écrite par les femmes est souvent restée en dehors de ces circuits où les textes se repensaient, se commentaient et se réécrivaient.

L’éclairage de la sémiologie, de la psychanalyse, de la sémiotique ou de l’anthropologie a révélé un Proust lesbien, un Balzac « queer » et un Charles Bovary qui serait le vrai héros de Flaubert. Les femmes de lettres n’ont pas eu leur « sonnet des chats », leurs œuvres sont généralement moins analysées, elles ont moins sollicité les amoureux de l’interprétation. Peut-être sont-elles soupçonnées de penser moins dans le secret de la littéralité de leurs textes et de leurs œuvres de création, et de ne pas produire, au cours de la fabrique artistique, ce feuilletage textuel, cette textualité archéologique ou géologique, faite de couches superposées et enfouies, qui font le bonheur des lectures proustiennes ou balzaciennes ou baudelairiennes. Ce préjugé plus ou moins conscient ou avoué a retardé les études sur la littérature écrite par les femmes, celle-ci éveille généralement un intérêt moindre, elle ne fait que très modestement partie des cursus universitaires, des programmes des divers concours et des émissions culturelles.

Or les littéralités féminines sont riches de plans, de couches sédimentaires, d’alluvions et de synclinaux, exactement comme les littéralités masculines que nous nous sommes tant employés à explorer et à commenter. Le même travail de creusement archéologique s’impose pour les hommes et pour les femmes, et de façon urgente pour celles-ci. En effet le penser enfoui, et donc insu, des créations féminines concerne aussi le sexe, la sexualité et la sexuation, thèmes, on le sait, très conflictuels, chargés d’idéologie dont les philosophes et les théoriciens de toutes tendances se sont emparés.

Notre désarroi, justifié par les disputes philosophiques et les dissensions idéologiques que nous lisons, écoutons et vivons jour après jour, ne cesse de s’accroître, il affaiblit notre réactivité aux événements sociaux et politiques et la cause des femmes dans le monde s’en ressent, en pâtit, une récession sociale est en cours. Les théories séduisantes toutes, souvent contradictoires entre elles, auxquelles nous nous abreuvons et sur lesquelles nous fondons nos pratiques nous apportent des satisfactions intellectuelles mais aussi beaucoup trop d’incertitude, elles contribuent par leurs divergences de fond à bloquer le progrès social, elles annoncent des guerres à venir là où nous aurions besoin surtout de compréhension. Tour à tour nous voici entraînés, par des prises de position successives, réputées inconciliables, dans la spirale maudite de guerres fratricides (et sororicides) entre maternalistes, culturalistes, naturalistes, différentialistes et essentialistes.

Qu’y gagnent les femmes, les femmes pauvres, les femmes opprimées, les femmes victimes de violences, les femmes opposantes aux pires régimes politiques, les femmes intellectuelles, engagées, créatrices, qu’y gagnent les femmes du monde si ce n’est un discrédit croissant, l’oubli, une inaction des gouvernements, une inertie de l’opinion ? Dès lors que ces divergences théoriques sont perçues comme des querelles de bonnes femmes, elles portent atteinte à la cause des femmes. Elles freinent le progrès dans la connaissance de ce « continent noir » dont les traits physiques, psychiques et culturels peu à peu sont engloutis, nouvelle Atlantide qui disparaîtra bientôt sous nos yeux.

Or la littérature et les créations des femmes, dans leur sous-sol géologique, sous le sens manifeste que la matière textuelle ou artistique d’abord révèle, recèlent toutes une Pompéi qui fait la beauté et la richesse des œuvres. C’est dans ce gisement que s’improvise une pensée du féminin susceptible de faire bouger nos positions idéologiques souvent polémiques et contreproductives. Toutes les problématiques liées à la reconnaissance sociale et culturelle de la femme qui agitent le débat philosophique et politique actuel, sans pour autant parvenir à infléchir les tendances misogynes de la société, sont débattues avec une intelligence insoupçonnée dans ces tréfonds secrets des œuvres de femmes que nous découvrons et que nous sollicitons.

Ces tréfonds du sens littéral auxquels, seule, peut atteindre une démarche curieuse et exploratrice des œuvres, sont riches d’un penser philosophique et d’une initiative morale et idéologique que nous aurions tort de négliger. Bien des questions que les débats politiques et philosophiques ne parviennent pas à résoudre ni même à comprendre constituent les soubassements de la littérature écrite par les femmes. Les éclairer par l’interprétation revient à découvrir dans les œuvres de création des femmes une pensée anthropologique puissante. Ce penser, qui est le gisement intellectuel des créations littéraires et artistiques, concerne le sexe dans sa dimension sociale et culturelle.

Nous découvrons en analysant les œuvres des femmes d’étonnantes prémonitions. Ce sont les indices d’une autre idéologie, d’une autre philosophie, d’une autre place dans la filiation, d’un autre rapport au savoir et au pouvoir, d’une autre libido, d’un autre paradigme, d’une autre inscription dans l’héritage généalogique, la présence d’autres mythes ou de mythes réinventés qui bouleversent nos conceptions du féminin et du masculin et qui transcendent ces catégories.

MANIFESTATIONS 2009

DEMARCHE-S de GRADIVA CREATIONS AU FEMININ

Samedi 27 juin de 9h à 19h

 salle des séminaires
Colegio de España, Cité Universitaire,
7 E bd Jourdan, 75014 Paris,

Plaquette de la manifestation

PROGRAMME

Matin

9h : Accueil

9h30 : Michèle Ramond et Nadia Mékouar  : Ouverture de la journée, l’édition de : Les créations ont-elles un sexe ?, le colloque de la rentrée, la surprise d’Irma, le thème des rencontres 2009-2010, « Tout sur les Mères empêchées », l’assemblée générale de Gradiva
10h : Francis Martinez, « Elle s’avance Gradiva »
10h30 : Eugénie Romon, « Omniprésence et signification de la figure de Gradiva dans l’oeuvre de Soledad Puértolas »

11h : Discussion et pause

11h30 : Marielle Anselmo, « Proust/Gradiva. Marcher à l’envers »
12h : Nadia Setti, « La fille vagabonde d’Agnès Varda »

12h30 : Déjeuner offert au Restaurant du Colegio

Après-midi

14h : Milagros Ezquerro, « Freud critique littéraire »
14h30 : Sandra Buenaventura, « Glissement d’identité et mobilité chez Leonora Carrington et Aura Estrada »

15h : Discussion générale sur la fin de la matinée et le début de l’après-midi 
Pause

15h30 : Jeanne Hyvrard, Lecture de poèmes inédits
16h : Béatrice Rodriguez, « L’envers de Gradiva »
16h30 : Michèle Ramond, « Les écritures des femmes, une certaine démarche »
17h : Discussion
17h15 : Irma Vélez, « Les représentations filmiques de Gradiva selon Raymonde Carasco »
17h30 : Projection des deux films de Raymonde Carasco (50mn)