Les créations des femmes et les créations des hommes : comment repenser les identités à la lumière des œuvres littéraires et des autres créations ?

Les œuvres pensent, repensent et donnent à penser : bien souvent, elles abritent un substrat philosophique et théorique dont elles se nourrissent explicitement. Les exemples ne manquent pas et les nourritures théoriques abondantes (sur l’identité, sur le soi et l’autre, sur identité et étrangeté, sur poétique et politique de la différence, sur le sujet nomade, sur l’hospitalité, sur l’ouverture à l’étranger, sur la créolisation, sur la poétique de l’expérience comme contrepoint à l’essentialisme) finissent par organiser autour des œuvres un concert idéologique qui brouille ce que les créations peuvent aussi apporter d’original à leur tour. Car les créations sont bien souvent l’imprévu des systèmes de pensée organisés en philosophies. Les œuvres, nous en faisons journellement l’expérience, sont sous l’influence de courants théoriques multiples, mais elles sont également susceptibles de générer de la pensée, de suggérer même des théories qui échappent à la fois au contrôle de la conscience écrivante et à l’influence des systèmes philosophiques élaborés depuis 40 ans dans le sillage des féminismes essentialistes et constructivistes et des théories déconstructionnistes qui alimentent tant de débats sur les identités sexuelles, biologiques et genrées. À côté de ces systèmes théoriques qui se succèdent, s’accumulent et nous éblouissent (Kristeva, Butler, Derrida, Cixous, Braidotti, Glissant, Irigaray, Fouque, Leclerc, Muraro, Huston...) les créations littéraires et artistiques produisent aussi de la pensée innovante et participent de façon sans doute plus souterraine à la construction d’identités masculines et féminines plurielles, atypiques, surprenantes, débordant et pulvérisant même toutes les frontières, tous les stéréotypes et tous les tabous. À la lumière des créations, de nouvelles féminités mais également de nouvelles masculinités sont proposées à notre admiration et à notre méditation.

Longtemps l’identité masculine sembla ne pas poser problème ; tandis que les femmes dérangeaient sans cesse la société par leurs revendications, leurs demandes de reconnaissance comme citoyennes à part entière, sur tous les plans de la vie personnelle, familiale, collective et politique, faisant bouger les canons, mettant à mal les stéréotypes, revendiquant l’égalité avec les hommes, cette identité masculine allait, pour ainsi dire, de soi, elle paraissait en adéquation avec elle-même, avec le système patriarcal logophallocentré et avec une domination masculine tellement généralisée et habituelle que l’on finissait par la trouver normale ou par ne plus l’apercevoir. Parallèlement pourtant nos littératures témoignent souvent et depuis toujours d’une masculinité infiniment plus subtile et captivante, qui déroge au modèle de l’homme roi et puissant et qui dérange et subvertit les canons au moins autant que les luttes féministes et que les écritures militantes des femmes, pour ne parler que de cette forme d’art, ont pu le faire. Aujourd’hui la question des masculinités, au moins dans les pays occidentaux dits « démocratiques » et « évolués », paraît réglée au profit d’un modèle masculin considérablement adouci et féminisé, celui de l’homme sensible, bon compagnon se prêtant à accomplir les tâches ménagères et à s’occuper des enfants et même des bébés : les papas montent sur les grues des chantiers ou sur les tours et les dômes des églises pour réclamer le droit de garde de leurs enfants et la résidence alternée, attitudes et revendications qui n’empêchent pas pour autant et parallèlement la puissante différence dans la représentativité politique entre les hommes et les femmes, le « backlash », la montée en puissance de nouveaux masculinismes, les violences commises dans tous les pays contre les femmes, leur voilement symbolique ou réel.

Repenser les masculinités (séminaire 3)

Samedi 28 juin 2014 - 9h00

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La rencontre Gradiva du 28 juin 2014 s’inscrit dans le programme intitulé « Comment repenser les identités à la lumière des œuvres littéraires et des autres créations ? ». À quoi s’ajoutent quelques perspectives nouvelles que le séminaire du 22 mars nous a permis de dégager et que nous vous proposons d’explorer. Nous avons vu que les nouvelles masculinités, à l’œuvre dans les œuvres des hommes et des femmes, nous invitaient à dépasser le dispositif binaire du genre. Il sera pertinent d’approfondir le jeu du masculin avec le genre. Comment choisit-il de le troubler, de le dépasser ou de le parodier ? L’on pourra observer notamment comment les subjectivités artistiques mettent en question la « domination masculine » et/ou le principe d’un masculin posé comme universel ; comment, au travers de ces propositions, les rapports de pouvoir sont nouvellement négociés sans pour autant être annulés ; comment, plus essentiellement encore, ces identités masculines s’articulent aux identités féminines.

Des axes plus spécifiques peuvent être envisagés :

- la virilité, qu’elle soit éthique ou physique (puissance sexuelle et procréatrice), repose sur un modèle immuable et séculaire de puissance masculine, sur des codes dans lesquels les hommes, du moins un certain nombre, ne se reconnaissent plus. La virilité est-elle pour autant en voie de disparition ? De nouvelles virilités sont-elles possibles ?

- l’on pourrait aussi s’interroger, comme on a commencé de le faire, sur les représentations de l’homosexualité masculine, au fur et à mesure des évolutions sociales. Est-on fondé à voir dans la défense de la virilité homosexuelle une forme de rejet du machisme ?

- l’on travaillera également sur le regard porté sur le corps de l’homme. Comment l’homme est-il regardé ? Qu’en est-il du corps masculin et de l’objectivation des corps ? Quels espaces occupe-t-il dans les œuvres de fiction (littérature, peinture, images, films, sculpture, danse, etc.) ?

Ces aspects, et bien d’autres encore, seront étudiés au travers des œuvres artistiques des hommes et des femmes. Si l’on considère que les identités se construisent et se transforment à chaque fois qu’elles se mettent en scène, ce qui revient à mettre en avant la dimension « performative » du genre (J. Butler), il sera particulièrement judicieux de s’intéresser à toutes les pratiques littéraires et artistiques (arts plastiques, danse, théâtre) qui, en questionnant le genre masculin/féminin, remettent en question les genres artistiques traditionnels, ce dispositif étant réversible bien évidemment.

PROGRAMME

MATIN

9h00 : Accueil des participants

9h15 : Quelques nouvelles, Nadia Mékouar-Hertzberg, Catherine Flepp

9h30  : Fátima Rodriguez : Brouiller les cartes : la transgression topographique de cinq graveuses argentines

10h00  : María Angeles Hermosilla Alvarez : Deconstruyendo el patriarcado : la imagen de las mujeres en la pintura de Pepe Cañete

10h30 : Débat-Pause

11h  : Séverine Hettinger : Masculinités et processus créatifs

11h30  : Béatrice Rodriguez et Christine Cadiot : Lecture poétique - Du père à la figure d’autrui

12h 00 : Débat général

12h30 : Repas offert

APRÈS-MIDI

14h00 : Sylvie Camet : Masculinité et territoires : la division genrée de l’espace

14h30 : Nathalie Narváez : L’idéal masculin décrit au féminin : les masculinités à l’œuvre dans les témoignages de femmes guatémaltèques et rwandaises

15h 00 : Débat général

16h00 : Représentation exceptionnelle en présence de l’auteur :

El enano en la botella – Le nain dans la bouteille

Abillio ESTEVEZ

(Lieu de la représentation : ENS, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris)